Pourquoi les musulmans jeûnent-ils ?
Page 1 sur 1
Pourquoi les musulmans jeûnent-ils ?
Quelles sont les significations du mois de ramadan ? Quelles questions particulières l'observance de ce jeûne pose-t-elle aux musulmans européens, minoritaires au sein de leurs sociétés ?
Il y a d'abord une signification spirituelle de l'acte de jeûne. Comme dans toutes les pratiques ascétiques des différentes religions, il s'agit d'affamer le corps pour prendre conscience que les besoins humains les plus essentiels sont spirituels : réduire le temps passé à subvenir aux besoins physiques - non seulement ne pas manger ni boire, mais s'abstenir aussi de tout plaisir sexuel - pour se consacrer davantage à la méditation et à la prière. Notons cependant qu'il est difficile, à la lecture du Coran comme des hadiths (paroles canoniques du prophète Mahomet) de trouver de véritables développements sur cette valeur spirituelle du jeûne. Là comme ailleurs, l'islam se montre surtout ritualiste, la religion ordonne mais explique peu, insistant encore et toujours sur les modalités «techniques» du jeûne, relatives par exemple au discernement du moment de l'aube où il est légitime de le commencer - «Mangez et buvez jusqu'à moment où vous pourrez distinguer le fil blanc du fil noir», précise le Coran à ce sujet. A peine le texte mentionne-t-il, en fait de raisons métaphysiques et de vertus spirituelles de l'abstinence, l'idée que «jeûner est un bien pour vous» parce que «le Coran a été révélé durant le mois de ramadan». Période de descente particulière de la grâce divine donc, mais c'est manifestement à chaque musulman de découvrir par lui-même ses bénéfices profonds.
A cette signification spirituelle, on peut ajouter deux autres raisons pour lesquelles les musulmans respectent de façon si suivie ce ramadan (plus de 80 %), même ceux qui ont, par ailleurs, abandonné toute autre pratique active. D'abord, sa dimension communautaire : c'est un moment intense de communion, de solidarité, de réjouissances nocturnes - mois de l'excès où les privations du jour cèdent la place aux libations de la nuit, la jouissance des plaisirs sensibles étant d'autant plus douce et puissante qu'elle a été différée et interdite.
Ensuite, sa signification personnelle : on entend les musulmans dire qu'ils le font non seulement sous l'effet d'une «seconde nature» (tant l'acte est inscrit dans leurs gènes culturels), mais aussi par exigence vis-à-vis d'eux-mêmes, «par défi», disent les plus jeunes. Moment festif qui ressoude l'unité culturelle ou bien moment d'effort sur soi, le ramadan semble ainsi trouver sur le plan éthique les raisons si difficiles à élucider sur un plan plus religieux : communion avec autrui, confrontation à soi-même, la vertu de solidarité est mise ici à l'honneur, à travers les usages de la générosité et de l'hospitalité, en même temps que la vertu de ténacité, à travers la patience et l'endurance nécessaires à une journée entière de jeûne. Que les musulmans jeûnent donc par piété ou bien par volonté de se mesurer à soi-même, les raisons sont diverses, donnant l'image en acte de ce que j'ai appelé self islam (islam du choix personnel). C'est d'autant plus vrai en Europe - terre d'élection de ce self islam- qu'ici le poids des coutumes ne pèse pas autant, ce qui, ajouté à la variété des valeurs, laisse chacun plus libre de ses actes et de leur signification. A condition que cette liberté de chacun vis-à-vis du jeûne soit bel et bien respectée. Or même ici un certain nombre de situations ne manquent pas d'alerter à juste titre l'opinion publique et les autorités. Comment justifier par exemple que des élèves de sixième - âgés donc de 11 ans - fassent déjà le ramadan ? Choix personnel, vraiment ? Ne nous cachons pas que, malgré son évolution globale, un islam archaïque manifeste dans notre société sa résistance ou sa résurgence. Voilà l'enjeu majeur de cet événement pour l'islam européen : en cette période de l'année où les tambours médiatiques battent rituellement (!) l'annonce du début du ramadan, faire la preuve que son mouvement majoritaire s'effectue bien en direction de la liberté de conscience vis-à-vis de sa propre religion. Or nous ne prouverons cela qu'à la première condition de réserver la pratique du ramadan à des consciences suffisamment mûres pour en faire le choix - pourquoi ne pas fixer à 18 ans l'âge d'une «maturité spirituelle» ou «citoyenneté spirituelle» en dessous de laquelle rien ne doit être demandé à l'enfant ? Plus largement, les musulmans gagneront la reconnaissance du reste de la société quand ils montreront leur capacité, avant de se lancer dans le ramadan, à se demander s'il leur faut réellement le faire ! Notamment lorsqu'ils exercent un métier pénible physiquement, requérant une concentration particulière ou impliquant une responsabilité lourde. A quoi doit s'ajouter la prise en compte de l'environnement social.
Eternelle question : est-ce à l'Europe de s'adapter, par exemple en accordant aux musulmans des droits spéciaux (comme des conditions de travail adaptées), ou aux musulmans ? Les musulmans d'ici doivent aller encore plus loin dans l'intelligence «situationnelle». Par souci de vivre avec tous selon des règles communes, mais aussi pour une raison interne : depuis des siècles, et aujourd'hui dans la majorité des pays musulmans, l'islam a tellement été pratiqué sur le «mode réflexe» de soumission automatique à la tradition qu'il faut saisir aujourd'hui l'exigence européenne de liberté et de responsabilités individuelles comme une chance exceptionnelle d'apprendre enfin à nous adapter, à penser par nous-mêmes, à agir chacun en son âme et conscience.
Souvenons-nous - à propos du ramadan - que la tradition elle-même invite chacun à s'interroger pour déterminer s'il doit ou non jeûner. Un hadith rapporte par exemple qu'un voyageur demanda au prophète si, malgré la fatigue du trajet, il pouvait jeûner quand même, s'en sentant capable. Mahomet lui répondit que Dieu lui accordait comme «indulgence» le droit de manger. C'est ainsi que, par de multiples paroles traditionnelles et jurisprudences, le voyageur, la femme enceinte, le vieillard, le malade, se sont retrouvés dispensés du ramadan, donc laissés face à leur propre décision. Héritons aujourd'hui de cet esprit de liberté. Que chaque musulman profite de cette période pour se questionner sur sa pratique : Qu'est-ce que le fait de jeûner m'apporte ? Pourquoi devrais-je continuer à respecter cette exhortation du Coran ? Dois-je considérer cela comme un commandement absolu, ou alors ai-je le devoir et le droit d'affirmer ma liberté face à lui ?
Personnellement, je ne jeûne pas. Depuis plusieurs années, j'ai cessé de faire le ramadan, pourtant pratiqué depuis mon enfance. Cette décision fait suite à une question profonde : ai-je encore besoin de jeûner pour sanctifier mon existence, pour approfondir ma conscience de la dimension sacrée du monde ? Ma méditation m'a fait voir que, désormais, mon «cheminement vers Allah» passait par d'autres voies, jusqu'à ce qu'un jour, peut-être, ma disposition intérieure se modifie et qu'à nouveau se fasse sentir la nécessité du jeûne. Mais j'ai compris que ce moyen de «trouver Dieu» n'était qu'un moyen, pas une fin. Et qu'une fois son but accompli le moyen ne sert plus à rien. Comme un bateau qu'on laisse sur le sable une fois la rive atteinte, et qu'il serait absurde de charger sur ses épaules pour continuer sa route.
Partager Avec Vos Amis
Il y a d'abord une signification spirituelle de l'acte de jeûne. Comme dans toutes les pratiques ascétiques des différentes religions, il s'agit d'affamer le corps pour prendre conscience que les besoins humains les plus essentiels sont spirituels : réduire le temps passé à subvenir aux besoins physiques - non seulement ne pas manger ni boire, mais s'abstenir aussi de tout plaisir sexuel - pour se consacrer davantage à la méditation et à la prière. Notons cependant qu'il est difficile, à la lecture du Coran comme des hadiths (paroles canoniques du prophète Mahomet) de trouver de véritables développements sur cette valeur spirituelle du jeûne. Là comme ailleurs, l'islam se montre surtout ritualiste, la religion ordonne mais explique peu, insistant encore et toujours sur les modalités «techniques» du jeûne, relatives par exemple au discernement du moment de l'aube où il est légitime de le commencer - «Mangez et buvez jusqu'à moment où vous pourrez distinguer le fil blanc du fil noir», précise le Coran à ce sujet. A peine le texte mentionne-t-il, en fait de raisons métaphysiques et de vertus spirituelles de l'abstinence, l'idée que «jeûner est un bien pour vous» parce que «le Coran a été révélé durant le mois de ramadan». Période de descente particulière de la grâce divine donc, mais c'est manifestement à chaque musulman de découvrir par lui-même ses bénéfices profonds.
A cette signification spirituelle, on peut ajouter deux autres raisons pour lesquelles les musulmans respectent de façon si suivie ce ramadan (plus de 80 %), même ceux qui ont, par ailleurs, abandonné toute autre pratique active. D'abord, sa dimension communautaire : c'est un moment intense de communion, de solidarité, de réjouissances nocturnes - mois de l'excès où les privations du jour cèdent la place aux libations de la nuit, la jouissance des plaisirs sensibles étant d'autant plus douce et puissante qu'elle a été différée et interdite.
Ensuite, sa signification personnelle : on entend les musulmans dire qu'ils le font non seulement sous l'effet d'une «seconde nature» (tant l'acte est inscrit dans leurs gènes culturels), mais aussi par exigence vis-à-vis d'eux-mêmes, «par défi», disent les plus jeunes. Moment festif qui ressoude l'unité culturelle ou bien moment d'effort sur soi, le ramadan semble ainsi trouver sur le plan éthique les raisons si difficiles à élucider sur un plan plus religieux : communion avec autrui, confrontation à soi-même, la vertu de solidarité est mise ici à l'honneur, à travers les usages de la générosité et de l'hospitalité, en même temps que la vertu de ténacité, à travers la patience et l'endurance nécessaires à une journée entière de jeûne. Que les musulmans jeûnent donc par piété ou bien par volonté de se mesurer à soi-même, les raisons sont diverses, donnant l'image en acte de ce que j'ai appelé self islam (islam du choix personnel). C'est d'autant plus vrai en Europe - terre d'élection de ce self islam- qu'ici le poids des coutumes ne pèse pas autant, ce qui, ajouté à la variété des valeurs, laisse chacun plus libre de ses actes et de leur signification. A condition que cette liberté de chacun vis-à-vis du jeûne soit bel et bien respectée. Or même ici un certain nombre de situations ne manquent pas d'alerter à juste titre l'opinion publique et les autorités. Comment justifier par exemple que des élèves de sixième - âgés donc de 11 ans - fassent déjà le ramadan ? Choix personnel, vraiment ? Ne nous cachons pas que, malgré son évolution globale, un islam archaïque manifeste dans notre société sa résistance ou sa résurgence. Voilà l'enjeu majeur de cet événement pour l'islam européen : en cette période de l'année où les tambours médiatiques battent rituellement (!) l'annonce du début du ramadan, faire la preuve que son mouvement majoritaire s'effectue bien en direction de la liberté de conscience vis-à-vis de sa propre religion. Or nous ne prouverons cela qu'à la première condition de réserver la pratique du ramadan à des consciences suffisamment mûres pour en faire le choix - pourquoi ne pas fixer à 18 ans l'âge d'une «maturité spirituelle» ou «citoyenneté spirituelle» en dessous de laquelle rien ne doit être demandé à l'enfant ? Plus largement, les musulmans gagneront la reconnaissance du reste de la société quand ils montreront leur capacité, avant de se lancer dans le ramadan, à se demander s'il leur faut réellement le faire ! Notamment lorsqu'ils exercent un métier pénible physiquement, requérant une concentration particulière ou impliquant une responsabilité lourde. A quoi doit s'ajouter la prise en compte de l'environnement social.
Eternelle question : est-ce à l'Europe de s'adapter, par exemple en accordant aux musulmans des droits spéciaux (comme des conditions de travail adaptées), ou aux musulmans ? Les musulmans d'ici doivent aller encore plus loin dans l'intelligence «situationnelle». Par souci de vivre avec tous selon des règles communes, mais aussi pour une raison interne : depuis des siècles, et aujourd'hui dans la majorité des pays musulmans, l'islam a tellement été pratiqué sur le «mode réflexe» de soumission automatique à la tradition qu'il faut saisir aujourd'hui l'exigence européenne de liberté et de responsabilités individuelles comme une chance exceptionnelle d'apprendre enfin à nous adapter, à penser par nous-mêmes, à agir chacun en son âme et conscience.
Souvenons-nous - à propos du ramadan - que la tradition elle-même invite chacun à s'interroger pour déterminer s'il doit ou non jeûner. Un hadith rapporte par exemple qu'un voyageur demanda au prophète si, malgré la fatigue du trajet, il pouvait jeûner quand même, s'en sentant capable. Mahomet lui répondit que Dieu lui accordait comme «indulgence» le droit de manger. C'est ainsi que, par de multiples paroles traditionnelles et jurisprudences, le voyageur, la femme enceinte, le vieillard, le malade, se sont retrouvés dispensés du ramadan, donc laissés face à leur propre décision. Héritons aujourd'hui de cet esprit de liberté. Que chaque musulman profite de cette période pour se questionner sur sa pratique : Qu'est-ce que le fait de jeûner m'apporte ? Pourquoi devrais-je continuer à respecter cette exhortation du Coran ? Dois-je considérer cela comme un commandement absolu, ou alors ai-je le devoir et le droit d'affirmer ma liberté face à lui ?
Personnellement, je ne jeûne pas. Depuis plusieurs années, j'ai cessé de faire le ramadan, pourtant pratiqué depuis mon enfance. Cette décision fait suite à une question profonde : ai-je encore besoin de jeûner pour sanctifier mon existence, pour approfondir ma conscience de la dimension sacrée du monde ? Ma méditation m'a fait voir que, désormais, mon «cheminement vers Allah» passait par d'autres voies, jusqu'à ce qu'un jour, peut-être, ma disposition intérieure se modifie et qu'à nouveau se fasse sentir la nécessité du jeûne. Mais j'ai compris que ce moyen de «trouver Dieu» n'était qu'un moyen, pas une fin. Et qu'une fois son but accompli le moyen ne sert plus à rien. Comme un bateau qu'on laisse sur le sable une fois la rive atteinte, et qu'il serait absurde de charger sur ses épaules pour continuer sa route.
Partager Avec Vos Amis
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum